SANTE MAGAZINE
C’est mon hIstoIre
« On peut clairement parler de médecine de guerre » Frédéric ADNET
L e matin, j’arrive vers 8 h à l’hôpital. Je fais un briefing avec les équipes du Samu et je prends des nouvelles de l’activité nocturne : nombre d’appels, de malades pris en charge, de places de réanimation à trouver…Même chose pour les urgences. Je communique ensuite tout au directeur de l’hôpital qui doit être informé tous les jours de la situation et de l’activité en rapport avec le Covid-19. Généralement, je finis ma journée vers 20 h. Un phénomène d’une intensité incroyable Je n’ai jamais vécu cela dans ma vie professionnelle. C’est quelque chose de parfaitement inédit. Je me souviens bien sûr de la canicule en 2003 mais là, c’est un phénomène d’une intensité incroyable et sur le long terme. Dès la deuxième semaine de confinement, on sentait déjà les limites de l’hôpital face à l’afflux de patients. La nuit, en régulation, je constatais que le nombre d’appels augmentait énormément. On est passé de gens anxieux à des personnes vraiment malades. On peut clairement parler de “médecine de guerre”. À cela, vous ajoutez le handicap énorme entraîné par le fait que de plus en plus de personnels soignants
Le Pr Adnet est directeur du Samu de la Seine-Saint-Denis et chef du service des urgences de l’hôpital Avicenne, à Bobigny (93). Il fait partie de ceux qui, depuis le début de l’épidémie, sont en première ligne contre le coronavirus.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANA BOYRIE
Aujourd’hui, j’ai plus peur d’un effondrement de mon équipe que de la structure. Même si les deux seront concomitants… J’ai l’impression qu’on court après la maladie Quand je vois ce que décrivent nos confrères italiens, choisir le patient que l’on va mettre sous ventilation et celui qui va mourir, c’est horrible ! Je n’ai pas encore été confronté à cette problématique mais si cette montée en charge continue, cette crainte va se transformer en réalité. Or, j’ai toujours pensé que c’était impossible. Et cela va être la panique si je suis obligé de laisser des gens malades dehors parce que je n’ai pas les moyens de les accueillir. Il est urgent d’ouvrir des lits ! Malheureusement, j’ai l’impression que l’on court après la maladie. Mais je ne veux pas être trop pessimiste car certains patients en réanimation commencent à sortir. Et des patients guérissent ! Il y a donc des lueurs d’espoir. Cependant, j’aimerais bien voir la fin de la vague.
tombent malades. En un seul jour, il a fallu que j’arrête 50 soignants. Il y a des soirs où je m’autorise un petit apéro via WhatsApp. Cela me permet de relâcher la pression, avec ma femme, médecin, on se raconte nos journées, c’est important. Le danger de la maladie s’ajoute à notre stress Quand je vois des personnes âgées de 40-50 ans en détresse respiratoire, je me sens en danger. J’ai peur d’attraper la maladie car ce n’est pas une maladie bénigne. À l’hôpital, je vois les formes graves... Donc évidemment, on s’identifie à ce danger et cela s’ajoute à notre stress. Sans oublier le décès des médecins qui nous secouent tous. Certains soignants ont peur et ne viennent pas travailler. C’est une peur justifiée ! Finalement, avant de gérer mon angoisse, je dois gérer celle des autres. Ce qui n’est pas évident. Je n’ai pas tendance à élever la voix, mais il y a des coups de gueule dans le service. Parce que les équipes sont à bout de nerfs.
24 SANTÉ MAGAZINE I JUIN 2020
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