REGAL n°101/ mai-juin 2021

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www.regal.fr RÉGAL N° 101 MAI JUIN 2021

Alexandre Couillon travaille selon la technique ikejime pour limiter le stress des poissons au moment de la découpe, ici un thon.

I l est une heure du matin et c’est presque la fin de l’été. Le ciel et l’océan se confondent dans un noir profond que la lumière de la lune ne parvient pas à troubler. L’Exocet (comme le poisson volant) de David Penisson file à une dizaine de nœuds sur une mer aux vagues pour le moment timides. Il s’éloigne du port de l’Herbaudière, ancré à la pointe nord de l’île de Noirmoutier, point de départ et d’arrivée, de cette marée. C’est la saison du bar. Le moment où il doit prendre des forces pour affronter l’hiver et préparer la fraie. Combien mordront aux hameçons des trois pêcheurs à bord ? « Si la houle se lève, ça va brasser et réveiller le poisson. On aura plus de chance d’en prendre », raconte Serge, l’un des deux matelots à bord, les deux pouces agrippés aux bretelles de sa combinaison en ciré jaune. « Avant, il suffisait de lancer une ligne pour que cela morde, maintenant, il faut aller chercher le poisson et on ne le trouve pas toujours », tempère Samuel, son collègue, plus âgé. David Penisson n’a pas trente ans et il en paraît dix de moins. La jeunesse farde les stigmates d’une nuit trop courte et des tracas de l’aube. L’ordinateur de bord ne répond plus et le jeune patron n’a plus accès à l’historique de ses lieux de pêche. Contre la technique en berne, il s’en remet à son instinct pour lancer ses lignes aujourd’hui. Depuis onze ans qu’il part en mer presque chaque jour, le pêcheur connaît les coins de l’océan. «Ce sera un peu à l’aveugle quand même, modère-t-il avec sa voix douce , et avec un peu de chance…on verra bien. » MYSTÉRIEUSE PALANGRE La palangre, l’autre nom pour désigner cette pêche artisanale à l’hameçon, ne manque ni de piquant, ni de mystère. Rien à voir avec le chalut, technique de pêche plus expéditive, un grand filet tiré par le bateau, qui ramasse tout sur son passage et déverse à bord le poisson en vrac, sonné et souvent cabossé. Leur palangre est une ligne de trois kilomètres, émaillée de 480 hameçons garnis d’un appât que le poisson choisit de saisir ou d’ignorer. «C’est beaucoup plus de travail pour le pêcheur, conçoit David Penisson, mais c’est ma façon de voir la mer et de rapporter du beau poisson au port. » Il fait encore nuit et, en attendant l’aurore, l’heure à laquelle les poissons plongent

© LAURENT DUPONT

ALEXANDRE COUILLON LA MER EST SON JARDIN Avec sa femme Céline, Alexandre Couillon cuisine à l’extrémité de l’île, là où Noirmoutier se jette dans l’océan Atlantique. Le poisson de la criée de l’Herbaudière est l’une des sources de sa créativité. Il a été l’un des premiers chefs à cuisiner des poissons ikijeme (technique japonaise pour tuer le poisson sans le stresser). Le vendéen n’en fait pas pour autant une religion. Il se méfie des modes en cuisine et ne se fie qu’à l’excellence et la fraîcheur du produit. Chez lui, du côté du jardin ou de l’océan, chaque matin commence un menu nouveau.

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