REGAL 116

84 RÉGAL EN BOUTEILLES

NOVEMBRE DÉCEMBRE 2023 RÉGAL N° 116 www.regal.fr

disparu depuis longtemps en Champagne, mais l’argent reste l’un des nerfs de la guerre : passer en bio, c’est plus d’heures de travail dans les vignes et moins de raisins à l’arrivée. Pour les viticulteurs qui vivent de la vente lucrative de raisins aux maisons de négoce, difficile de renoncer facilement à cette manne. Mais pour Michel Jacob, c’est justement parce qu’elle est prospère que la Champagne devrait être exemplaire. Les jeunes générations sont plus sensibles à l’argument. «On était pressé de fermer la parenthèse chimique » , confirme Florent Collet, pour qui le passage au bio s’est fait naturellement. «On avait déjà mis beaucoup de choses en place. Certes, le bio induit une perte de rendement, mais en Champagne on a de la marge, et on valorise mieux nos vins. » Solidarité oblige Mais rien ne se fera sans l’appui des maisons qui commercialisent l’essentiel des champagnes. Et là aussi, le pli semble pris. Roederer a été pionnier, en convertissant son vignoble en bio et biodynamie. Bien d’autres, telles Ayala, Vranken, Henriot, Canard-Duchêne ou Lanson, s’engagent dans la voie d’une viticulture responsable selon différentes modalités. Beaucoup encouragent leurs apporteurs de raisins à franchir le pas en valorisant d’autant le prix du kilo de raisins bio. Les coopératives prennent aussi le tournant : Nicolas Feuillatte, géant de Champagne qui fédère quelque 5000 vignerons, accompagne les viticulteurs dans la conversion. Résultat : les surfaces cultivées en bio restent encore modestes, mais elles ont doublé en un an n

« Le dérèglement, ce sont des excès en tout : des risques accrus de gelées en avril ou d’orages de grêle, des épisodes de canicule et puis ces étés à la fois très chauds et humides. » Florent Collet

© JM LECLÈRE - REIMS

d’herbe, explique Michel Jacob. Maintenant, tu vois énormément de vignes enherbées, beaucoup de vignerons ne désherbent plus chimiquement. Il y a une prise de conscience. » Longtemps à la traîne en matière de viticulture vertueuse, la Champagne voit la courbe du bio décoller : 1 400 ha en 2019, plus du double aujourd’hui. C’est peu (9 % du vignoble), mais c’est mieux et la dynamique est lancée. Pour Michel Drappier, qui vient d’achever la conversion de son vignoble, le déclic a été les années 1990 et la naissance de ses enfants : « À l’époque, les bios étaient ultra-minoritaires, pris pour des fous. J’ai eu un conflit dur avec mon père. Il considérait que c’était du laisser- aller et craignait pour la pérennité de l’entreprise. » Le spectre de la misère a

est une chose, le dérèglement en est une autre. Le dérèglement, ce sont des excès en tout genre : « des risques accrus de gelées en avril, d’orages de grêle, des épisodes de canicule et puis ces étés à la fois très chauds et humides » , égrène Florent Collet. 2023 en est une belle illustration : le mois d’août quasi tropical a démultiplié les champignons comme le mildiou, vraie plaie du vignoble. Le climat a changé, les pratiques aussi. Michel Jacob se rappelle qu’il a été « viticulteur chimique » à ses débuts. «On se sentait tout puissant, on avait des produits hyperefficaces contre les maladies, contre certaines souches de mildiou en particulier qui ont disparu et qui ont laissé la place à d’autres beaucoup plus résistantes et agressives. » « Il y a cinq ans, tu ne voyais pas un brin

OBJECTIF : UN BON BILAN CARBONE C’est le défi pour une viticulture vraiment durable. Même bio, la viticulture laisse forcément une empreinte. « Le zéro défaut, c’est impossible » , dit Michel Jacob (Champagne Serge Mathieu). Il faut donc trouver ailleurs le moyen de compenser ce que l’on émet dans le vignoble. Les Drappier y sont : leur maison a été la première à afficher un bilan carbone neutre, à grand renfort de panneaux solaires, réduction au minimum de la consommation de fuel, système de ventilation innovant, bouteilles allégées… Preuve que champagne et écologie peuvent aller de pair.

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