Hors-série Régal : la cuisine du soleil

Accrochée au mur, une collection de couteaux au fil usé témoigne d’une vie consacrée à la découpe des fameux pata negra.

PARCOURS SANTÉ POUR LE ROI DES JAMBONS Miguel Gala (ci-dessus), propriétaire du domaine de Los Cinchos dans le parc de la Sierra Norte, parcourt l’une des vastes prairies où il élève des cochons ibérico . À la fin de la montanera , les porcs repus pèsent entre 150 et 180 kg. Ils partent pour l’abattoir. Les cuisses fraîches sont salées et passent dans des caves successives pour sécher, à des températures et des degrés d’humidité différents. Ci-dessous, Alfonso Moreno Solis, dirigeant de la coopérative Sierra Sevilla, contrôle le degré de maturité des jambons en tâtant les creux et les bosses et en écoutant le son qu’ils émettent. Entre la naissance d’un porcelet et le moment où le jambon est pendu dans l’un des bars à tapas de Séville, il s’écoule un peu plus de quatre ans.

gras qui infiltre les muscles et nourrit le goût si singulier du futur pata negra . À raison de dix kilos de bellotas dévorés pour prendre un kilo par jour, chaque bête épuise cinquante chênes verts pendant la montanera ! Combien y a-t-il de cochons en liberté dans la forêt ? Miguel Gala hésite : « Ici, il y a 750 hectares d’un seul tenant et on compte un cochon par hectare, je dirais qu’il y en a pas loin de 700. » Au total, dans le Parc naturel de la Sierra Norte, l’éleveur andalou règne sur 7000 hectares de chênes verts. Cela fait donc énormé- ment de jambons à la fin de la montanera ! « Après la crise écono- mique de 2008 en Espagne, les prix des jambons ont chuté demoitié, il y a eu beaucoupde casse chez les éleveurs et les fabricants. Si bienque la production s’est concentrée dans les mains de quelques acteurs », explique Alfonso Moreno Solis, à la tête de Sierra Sevilla, une coo- pérative en train de renaître après la bourrasque économique. L’en- treprise achète une partie des cochons de Miguel Gala pour les transformer en jambons. Le salage, le séchage, la maturation dans des caves naturellement ventilées font partie du long processus qui conduit ces cochons exceptionnels de la dehesa – vaste prairie par- Chez Las Teresas, non loin de la Giralda (l’ancien minaret devenu le clocher de la cathédrale de Séville), tel un violoniste, Raphaël glisse la longue lame sur un jambon arrimé à son support en bois. Le geste est agile et, sous le fil du couteau, les lamelles de chair rouge ourlée d’un gras brillant se détachent avec une rapidité déconcer- tante. « J’ai découpé du jambon toute ma vie », assure le Sévillan, qui en tranche, au moins, 500 chaque année. Derrière lui, accrochée au mur, une collection de couteaux au fil usé en témoigne. « Les Chinois peuvent bien tenter d’imiter notre ibérico , jamais ils ne sau- ront le trancher, seul un Andalou en est capable », grommelle-t-il. Les tranches de jambon disposées en rosace dans l’assiette blanche appellent, comme il se doit, le verre de fino. Le vin blanc de Jerez (le sherry pour les Anglais) claque dans la bouche avec des notes oxy- datives et libère des goûts de noix, un peu comme le savagnin des semée de chênes verts – aux bodegas de la ville. LES VIRTUOSES DE LA TRANCHE

68 – RÉGAL HORS-SÉRIE N°21 – JUIN JUILLET AOÛT 2021

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