Hors-série Régal : la cuisine du soleil

VOYAGE EN ITALIE

gine de l’invention de la bottarga (poutargue), cette poche d’œufs de mulet, salés et séchés dont on usait comme d’une monnaie d’échange dans toute la Méditerranée. Cabras compte encore beau- coup de producteurs de poutargue et les mulets femelles de l’étang en font les frais. Ces poissons souvent mal jugés, en dehors de leur précieuse laitance, méritent d’être considérés. C’est l’un des ensei- gnements que l’on tire de la cuisine de Daniela. La chair du mulet de Cabras vaut bien celle du loup de mer quand il est cuit à la perfec- tion. «Ça va être exceptionnel », nous avait-elle prévenus. L'INCROYABLE POISSON VALISE Andrea, ami de Daniela et habitant de Cabras possède un savoir- faire rare. Il est arrivé avec une paire de ciseaux, son couteau et une brassée d’herbes sauvages cueillies sur les bords de l’étang. Il s’ap- prête à faire la démonstration de la merca , une préparation et un mode de conservation du poisson, aussi ancien que les Phéniciens. Dans la cour ombragée, Andrea entre en scène. Seuls les oiseaux et les cloches du curé ne font pas silence. L’herbe est étalée sur la table, comme on déploierait un tissu prêt pour la coupe. Un mulet entier cuit dans un court-bouillon par Daniela est déposé au centre et tout le talent d’Andrea est de l’emballer en l’enroulant dans les herbes fraîches et encore parfumées. Il ficelle, taille les herbes et peaufine comme un couturier qui couperait les fils retors du tissu. Le résultat ressemble à un petit sac de voyage. Andrea tient le savoir- faire de cette technique quasi millénaire de son père, qui l’a reçu en héritage, et ainsi de suite depuis que les Phéniciens ont inventé cette méthode originale de transport et de conservation du poisson cuit. Andrea prend la pose, présentant son meilleur profil, comme pour un shooting de mode, balançant la merca dans sa main droite. Il n’y a que les Italiens pour réussir à mettre autant de raffinement dans la rusticité. Car cet étrange « poisson valise » permet de conserver les chairs comestibles pendant environ un mois. Nous sommes trop impatients pour attendre si longtemps. Après quelques jours, nous goûterons le mulet emmailloté. Daniela décrète qu’il est trop salé et peste contre le monde entier. Laissant la cuisinière s’époumoner, la tablée dévore le poisson célébrant un moment d’exception n

BALADE ENBORDDEMER ETCOURS DECUISINE Daniela Meloni cuisine au bord de l’eau. C’est l’une des activités qu’elle propose à ses hôtes qu’elle reçoit dans sa maison de Cabras, où elle tient aussi une table. Elle les emmène à la découverte des produits du terroir sur les marchés locaux puis leur enseigne l’art de la cuisine sarde dans laquelle les légumes de saison (aubergines et poivrons spectaculaires) et les poissons occupent une place de choix. Elle propose aussi des randonnées en bord de mer. Pour en savoir davantage rendez-vous sur ses deux sites : www.sinis- table.com pour les activités et www.limolo.it pour réserver une des six chambres d’hôtes.

RÉGAL HORS-SÉRIE N°21 – JUIN JUILLET AOÛT 2021 – 51