Hors-série Régal : la cuisine du soleil

Alghero, une ville longtemps occupée par les Catalans. On y parle encore le dialecte alguérois dérivé du catalan, langue minoritaire reconnue ici.

adultes à des bouchers. Les mères finissent par mourir libres dans l’un des recoins de cette nature étincelante. Elles croisent parfois un troupeau de brebis. Un berger les guide et les trait le matin à ciel ouvert. On se croirait dans Padre Padrone , le film des frères Taviani. Le temps s’arrête parfois dans cette Sardaigne rurale et austère que la lumière adoucit. À Cuglieri, les maisons n’ont pas toujours bien vieilli. Elles sont agré- mentées de coquetteries architecturales témoignant d’un passé plus florissant. Le corso est le théâtre de la passeggiata (la prome- nade). Il est ourlé de commerces, que l’on ne dit pas « de proxi- mité » car ils ont toujours été là. Leur disparition n’est pas encore à l’ordre du jour. Dans ce village de moins de 3000 habitants, rien ne manque et les supermarchés n’existent pas. Près d’une cinquan- taine de petits commerces en garantit l’autonomie. Entre autres, Marcello sert le café, Maria Elena fournit les légumes, Antonio grille le cochon de lait à la demande, Valeria fabrique des chocolats… et Andreina tient une épicerie incontournable. Les veuves sont habil- lées de noir comme dans un roman d’Elena Ferrante et, entre eux, les hommes encore vivants s’appuient sur une canne pour goûter le temps qui passe. Chez le voyageur, la nostalgie gagne toujours contre la modernité. UNE CUISINE INSTINCTIVE ET SAUVAGE Plus au sud, dans la presqu’île de Sinis, l’eau clapote au bord des rochers, limpide comme celle d’un ruisseau. Daniela Meloni a ins- tallé un réchaud à gaz et dans la poêle, elle apprête des spaghettis avec de la poutargue et des herbes cueillies dans les dunes. « Quand j’étais enfant, mon père nous entraînait sur les petites îles désertes et nous apprenait à cueillir tout ce qui pouvait nous permettre de cuisiner et en définitive de survivre. J’en ai conservé le goût de cette cuisine d’instinct avec les ingrédients qui se trouvent à ma portée », raconte cette Sarde à la crinière blonde. Elle nous a fait promettre de taire le nom de « son paradis » . L’homme est incapable d’inventer un endroit pareil, seule la mer en a le pouvoir. Au loin, on aperçoit

LA PRÉCIEUSE LAITANCE DUMULET Daniela Meloni tient un mulet qui vient d’être pêché dans l’étang de Cabras. La laitance (ou la rogue des femelles) est transformée en poutargue après un traitement au sel puis un long séchage. Cette bottarga est un ingrédient au goût très puissant qui fonctionne davantage comme un assaison- nement dans la cuisine sarde. Ci-dessous, la préparation de la merca , un mode de conservation historique du mulet cuit. Les herbes qui servent à emballer le poisson sont cueillies au bord de l’étang.

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46 – RÉGAL HORS-SÉRIE N°21 – JUIN JUILLET AOÛT 2021

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