Echappées Belles en Bretagne
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Je crois qu’il n’y a pas, parmi les côtes des cinq départements bretons, une seule d’entre elles qui ne m’ait impressionné, tant le littoral de ces territoires est spectaculaire et varié. C’est peut-être dans les Côtes-d’Armor et, plus précisément, sur la Côte de Granit rose, que j’ai trouvé la plus singulière, celle qui m’a le plus marqué. De Perros-Guirec à la baie de Lannion, une douzaine de kilomètres de paysages sauvages, avec notamment le GR34® (qui relie le mont Saint-Michel à Saint-Nazaire le long d’un trait de côte de plus de 2000 kilomètres), révèlent des paysages à couper le souffle ! En premier lieu, il y a la couleur de sa roche, qui lui a donné son nom: ce granit brun clair aux reflets roses. Au soleil couchant, la lumière du soir lui donne des aspects cuivrés ! Ces teintes réchauffent les immenses pierres sculptées par la mer et le vent. Des blocs de granit arrondis, comme aurait pu les sculpter Botero, aux formes sensuelles et girondes… Défiant parfois les lois de l’équilibre, ces mastodontes créent un paysage unique, non sans rappeler certaines îles seychelloises, telle celle de Praslin. Ou, plus près de nous, les rochers de la plage de Palombaggia, près de Porto-Vecchio en Corse du Sud. Les décors de Ploumanac’h me laissent un très agréable souvenir : ces formes graphiques dégagent, paradoxalement, quelque chose de rassurant, d’une grande douceur ! La première fois que j’ai découvert les plages de sable blond qui ourlent le littoral – Trélévern, Trégastel, Trébeurden… – bordées par ces sculptures de la nature, c’était au lever du jour. Je venais d’embarquer sur un Zodiac en compagnie du photographe naturaliste Yannick Chérel, en direction de l’archipel des Sept-Îles. La mer était particulièrement agitée et, n’ayant pas vraiment le pied marin, j’ai senti que cette sortie s’annonçait inconfortable. Au bout d’une demi-heure de navigation, après avoir croisé quelques phoques gris en pleine chasse matinale ou d’autres qui se prélassaient sur des reposoirs improvisés, j’ai vu poindre, au loin, un îlot rocheux qui s’élevait au milieu des vagues : l’île Rouzic. Le comité d’accueil n’a pas tardé à se manifester. Des centaines de fous de bassan piaillaient, cris rauques, au-dessus de nos têtes. J’ai eu l’impression que leur ballet voletant et bruyant traduisait un enthousiasme débordant, à l’idée d’avoir de la visite… En tout cas, c’est ce que je me suis plu à imaginer ! Au pied de cette immense dent de pierre sombre, recouverte d’une couche blanche des offrandes organiques des fous de bassan, le spectacle est devenu fascinant, presque hypnotique. Des fous en folie ! Mon compagnon d’escapade ne savait plus de quel côté pointer son objectif. Pour ma part, avec mon smartphone, je tentais de capter cette scène incroyable. Les femelles plongeaient en rafale pour pêcher le repas des petits. Il y avait quelque chose d’irréel à observer ce spectacle frénétique de la nature. Que les oiseaux vous passionnent ou non, vous devez vivre cette expérience au plus près de la plus grande colonie de fous de bassan d’Europe : le dernier recensement a dénombré plus de 2000 individus. De retour sur la terre ferme, en reprenant peu à peu mes esprits, je savais que je venais de vivre un moment unique et étrangement énergisant. Cette matinée singulière remonte à près de six ans. Quand je ferme les yeux, les images, les sons, les sensations font toujours partie de ce souvenir, en tout point mémorable. L A B R E TA G N E V U E P A R … J É R Ô M E P I T O R I N
Chet_W (Fond) et Nathalie Guyon
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