Secrets d'Histoire - Les cathédrales de notre Histoire

DANS LE SECRET DES CATHÉDRALES

SERGE SANTOS : « LA BASILIQUE EST UNE MACHINE À LÉGITIMER LE ROI » ENTRETIEN

Administrateur de la basilique cathédrale Saint-Denis pour le Centre des monuments nationaux.

DR

Coll. Musée de la Révolution française – Domaine de Vizille cette politique symbolique royale de manière extrêmement volontariste. À travers ses écrits qui sont parfois d’ailleurs des faux, comme lorsqu’il raconte que Charlemagne a donné le royaume à saint Denis avant de partir en croisade, il soutient la monarchie en plaçant tout le royaume sous la protection de saint Denis. Il contribue à faire de ce dernier le protecteur des rois, et incite Louis VI à arborer sa bannière avant de partir en guerre. C’est la naissance d’un premier sentiment national. Louis IX va poursuivre cette politique… L’abbaye de Saint-Denis possède alors la plus importante bibliothèque du royaume. Et le prestige passe par le livre. Les moines de l’abbaye contribuent à conserver, fixer et diffuser la mémoire de la dynastie régnante. Saint Louis commande ainsi au moine Primat de Saint-Denis, et en langue française, une première Histoire de France, les Grandes Chroniques de France, le Roman des Rois, qui vont se déployer jusqu’au xv e siècle. Elles font des rois de France les derniers des Troyens, et contribuent à diffuser une mythologie comme celle de la Sainte Ampoule. Pourquoi les rois décident-ils très tôt de se faire enterrer à Saint-Denis? Les Mérovingiens pensaient qu’en étant ensevelis à proximité des reliques de saint Denis et de ses deux compagnons de martyr, ils atteindraient plus facilement le paradis. Au fil des siècles, saint Denis s’impose comme le protecteur des rois de France, pendant la vie et après la mort. Au-delà du religieux, c’était un moyen politique d’asseoir leur légitimité en étant adoubés par les abbés de Saint-Denis qui étaient devenus très puissants politiquement et économiquement. Charles Martel, maire du Palais, puis son fils Pépin le Bref, premier roi franc, sacré à Saint-Denis par le pape, s’y font ensevelir. Ils veulent ainsi montrer que leur nouvelle dynastie est parfaitement légitime. De même, saint Louis, en commandant 16 gisants de rois précédemment enterrés à Saint- Denis, manifeste la filiation entre les rois mérovingiens et surtout avec Charlemagne: le gisant de son père Louis VIII, dont la mère était de sang carolingien, est placé au centre car il est un trait d’union entre les dynasties. Quel est le rôle de l’abbé Suger dans la création de cette mythologie? La monarchie capétienne fonctionne autour de trois lieux: Paris, où le roi vit, Reims, où il est sacré, et Saint-Denis où il est enterré. La basilique est une machine à légitimer le roi, et un grand lieu de pouvoir. Suger avait noué des amitiés avec les personnages les plus éminents de son temps. Il incarne et définit

Manuel Cohen

Toutes les dynasties sont représentées: mérovin- gienne (Dagobert I er , Clovis II), carolingienne (Pépin leBref, Charles II leChauve, Louis III, Carloman II...), capétienne (notamment Hugues Capet, Philippe Auguste, Louis VIII, Louis IX, Marguerite de Provence, Philippe le Bel, Louis X, le petit Jean I er le Posthume, Philippe VI de Valois, Isabeau deBavière, Louis XII, Anne de Bretagne, François I er et Claude de France, Henri II, Catherine de Médicis, Henri IV et ses deux reines, Marguerite de France et Marie de Médicis, Louis XIII et Anne d’Autriche, Louis XIV et Marie-Thérèse, Louis XV et Marie Leszczynska, Louis XVI et Marie-Antoinette, Louis XVII et Louis XVIII). La basilique compte aujourd’hui plus de 70 tombeaux ou gisants, un record. Les tout premiers gisants sont des représentations « idéa- lisées » mais deviennent peu à peu plus réalistes et plus ressemblants, notamment à partir de Charles V qui fait réaliser le sien par un des plus célèbres sculpteurs du temps, André Beauneveau: c’est le premier portrait officiel de l’histoire de la

sculpture funéraire. À voir également le mausolée de Louis XII et Anne de Bretagne réalisé enmarbre de Carrare, et dont les transis sont saisissants; le gisant de François I er , représenté à taille réelle, et celui d’Henri II et Catherine deMédicis, initialement dans la rotonde des Valois commandée par la reine et finalement détruite au xviii e siècle.

La façade occidentale de la cathédrale, dont la tour nord et la flèche, fragilisées par les intempéries, furent démontées en 1846.

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