REGAL 116

72 LE REPORTAGE

Il y a trois ans, c’était une ancienne usine textile dans une friche industrielle entre Lille et Roubaix. En 2023, c’est l’une des tables les plus en vue de la métropole. Arborescence grandit

A ucune enseigne n’indique la pré- sence d’un restaurant. Mais depuis juin 2022, date de son ouverture, tous les gastronomes locaux savent qu’Arborescence se cache sous le donjon en briques de l’ancien « château textile » situé à Croix, entre Lille et Roubaix. Les abords sont déroutants : jardin asiatique zen, tin- tement de cloches, poèmes suspendus qui annoncent le menu… La brique et l’Asie : c’est un (très court) résumé de Félix et Nidta Robert . Il a grandi à Lille, elle en Thaïlande. En couple depuis le lycée hôtelier de Montreuil, le duo a passé six ans à La Grenouillère à La Madelaine-sous-Mon- treuil (deux étoiles), pour finir respectivement responsable de la salle et de la cave (Nidta), et sous-chef d’Alexandre Gauthier (Félix). Après une année dans un trois-étoiles à Tokyo, temple du poisson, une autre aux côtés des Troisgros à Roanne et un tour de France des vignobles pour Nidta, sommelière d’exception, les voilà fin prêts à partager leurs obsessions. Une cuisine énigma- tique, dont les intitulés font référence au visuel des plats plutôt qu’à leur contenu : « Peau de Tigre » pour un carré d’agneau du Quercy, abri- cots grillés et ail noir, par exemple. Un goût mar- qué pour les recettes monochromes, sans céder à la facilité : le « Rouget sur un rocher » n’est pas

posé sur une tomate ou un poivron, mais sur de la pastèque grillée. Le terroir ? « Je préfère parler de territoire, nuance Félix : tout ce que le sol et le cli- mat de la région nous permettent de cultiver. Comme le galanga, a priori exotique, qui pousse très bien dans notre potager. » Pour autant, les produits locaux attirent forcément ce Nordiste aux faux airs de Thomas Dutronc. « J’adore tra- vailler l’endive “crue-cuite”, le stade entre les deux est super intéressant : ce n’est plus une salade, ce n’est pas encore mou, c’est la finesse dans la fragi- lité. » Comme un écho au haiku qui orne l’une des salles du restaurant : « Sous la lumière, l’ombre se dessine. La cuisine est imaginaire. » Nuoc-mâm cristallisé Intellectuels (Félix arrive à parler « d’épanadi- plose d’oseille » , quand elle est servie en entrée percutante et en dessert givré), le chef et la som- melière n’en oublient pas la gourmandise. Elle peut se lover dans un très bel accord mets-vins entre un montagny 1 er cru du domaine Cotten- ceau et une coque au basilic thaï et nuoc-mâm cristallisé, dans un pain approuvé par le grand boulanger Alex Croquet, ou dans un dessert réconfortant à la crème de maïs, yuzu et fenouil. Sans partir dans tous les sens, ils empruntent plu- sieurs chemins. Comme une arborescence… n

Plutôt que de reprendre un

restaurant existant, Nidta et Félix Robert avaient à cœur de créer un lieu bien à eux qui soit le reflet de leurs uivers respectifs. Les clients sont accueillis dans un couloir zen et sombre (une surprise les attend au bout) avant d’être guidés vers les deux salles lumineuses de part et d’autre. Au mur sont suspendus les dessins de Nidta. Au crayon blanc sur carton noir, elle esquisse tous les plats de Félix, comme le «Rouget sur un rocher» (en haut à gauche) .

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