Echappées Belles - Un été dans les Alpes

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L E S A L P E S V U E S P A R … J ÉRÔME P I TOR I N

Virages 9, 8, 7… Je reconnais Huez. Je sais qu’il ne me reste plus qu’un petit tiers de l'ascension à effectuer. Les pentes sont moins raides, je prends même le temps d’apprécier la beauté du parcours. Le panneau N°1 se dessine au loin : la délivrance est proche. J’entends le speaker annoncer mon arrivée, celle de la lanterne rouge ! Je franchis la ligne 2 heures, 16 minutes et quelques secondes après mon départ. Le champion italien Marco Pantani, détenteur du record, avait avalé les 21 virages et les 1 121 mètres de dénivelé, en seulement 37 minutes et 35 secondes. Un extraterrestre ! un repère. Une preuve de la force insoupçonnée que nous avons tous au fond de nous. La montagne est un trésor qui nous met au défi, qui donne des leçons de vie. Mais, face à elle, il faut toujours faire preuve de prudence et d’humilité… J’en ai fait les frais d’ailleurs lors de la descente du col. Malgré ma prudence, les pentes abruptes m'ont fait prendre de la vitesse. Aux deux tiers de la descente, aux abords d’un virage, Dany se déporte et heurte ma roue. Je pars en soleil pour m’écraser sur l’asphalte ! J’étais sorti de ma trajectoire et j’en paie le prix. Quelques plaies aux mains, aux genoux, aux cuisses… Bah, rien de grave ! Nous repartons pour que notre belle journée ne soit pas gâchée par cette chute et pour apprécier les dernières sensations, sans forcer cette fois, sur les lacets mythiques de l'Alpe d’Huez. Cette journée reste gravée dans ma mémoire comme

J’ai eu la chance, grâce mon ami et pilote d’avion Jack Porte, de survoler le massif. J’ai pu découvrir d’en haut toute sa richesse, particulièrement les endroits où je voulais me rendre durant mon séjour. Le plateau d’Emparis et son lac, l’élevage de bisons du Bourg- d’Oisans, la via ferrata des mines de La Grave, le glacier de la Girose Il y a un autre site, auquel j’ai prévu de me confronter, à la seule force de mes mollets : l’Alpe d’Huez. J'ai programmé son ascension, via les vingt et un lacets mythiques du Tour de France ! 7 heures, Le Bourg-d’Oisans. J'ai rendez-vous dans le magasin de cycles de Dany Sautes. Le temps de choisir mon vélo, de retirer mon dossard à l’office de tourisme, et je me retrouve au beau milieu de centaines de passionnés, venus de France et d’Europe, prêts à en découdre avec celui qui est surnommé « le monstre », Lorsque le départ est donné, Dany et deux de ses amis sont à mes côtés. Après un kilomètre de mise en jambes, au détour d’un virage, s’élève, devant ma roue, la première côte du col. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la pente n’est pas progressive ! Dany, voyant que je peine déjà, se laisse redescendre à ma hauteur et me conseille de rétrograder les vitesses sur mon dérailleur. à cause de ses 14 kilomètres d’ascension vertigineuse. et le Grand Pic de la Meije, dernier grand sommet alpin à avoir été vaincu en 1877…

Je remarque son regard inquiet : il vient de comprendre que l’ascension allait être très, très longue à mes côtés… Ce que Dany m'a bien caché, c’est que la portion la plus difficile – avec 11 % de pente en moyenne, incluant un passage à 13,5 % ! – se situe au début, jusqu’au virage 21, le premier de la série, à 806 mètres d'altitude. La pente reste très raide jusqu'après le virage 17, et à l'arrivée à La Garde-en-Oisans. Cuisses tétanisées, au bord de l'asphyxie, je zigzague sur le bitume, à la limite de l’équilibre… Tout le peloton me dépasse, volant vers le sommet. Chaque coup de pédale me demande un effort surhumain. Je m’hydrate, engloutis une barre de céréales. Au kilomètre 8, je pose le pied à terre et je prends conscience en relevant la tête, jusqu’alors penchée sur mon guidon, combien les paysages sont grandioses : le pic Bayle d’un côté, le pic de la Girose de l’autre côté de la vallée. Jusque-là, ma souffrance physique m’a déconnecté de la réalité qui m’entoure et de la beauté de ces montagnes majestueuses. Mes équipiers, bienveillants me proposent d’en rester là. J'ai déjà parcouru plus de 8 kilomètres sur les 14 de l'ascension. Je suis épuisé, certes. En même temps, je suis excité de défier, non seulement ce sommet mythique, mais surtout mes limites. Parce que c’est le mental qui permet le dépassement de soi… Je décide d’aller au bout de cette aventure.

Hors-série / Détours en France / www.detoursenfrance.fr

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