Echappées Belles - Un été dans les Alpes

L E S A L P E S V U E S P A R … T I GA

Un train à crémaillère ? ! Même si je ne suis plus à l’âge où l’on enchaîne les « pourquoi ? », la question est sortie toute seule. Didier, natif de Chamonix, me renseigne : « La crémaillère est cette barre de fer dentée que tu vois sous le train. Elle lui permet de grimper, malgré la forte inclinaison. » Chamonix, au pied du majestueux mont Blanc, est la capitale de l’alpinisme. Son train rouge est mythique : il relie Chamonix-Mont-Blanc au Montenvers. Le chef de gare siffle le départ. La machine plus que centenaire grimpe gaillardement à flanc de falaise. Pendant l’ascension, je questionne Didier. Que fait un vrai Chamoniard comme lui, l'été ? Comme beaucoup de gens du pays, il a deux activités : moniteur de ski l’hiver et coutelier, son premier métier, le reste du temps. Aujourd’hui, il part au Montenvers chercher, sur la Mer de Glace, du bois fossile pour fabriquer les manches de ses couteaux. « Comme le glacier fond, cela fait apparaître les morceaux de bois. Certains sont vieux de 2 000 à 3 000 ans. On en a même trouvé qui étaient âgés de plus de 6 000 ans ! » Une vraie chasse aux trésors ! Arrivés à destination, nous découvrons un panorama vertigineux. Avec, en contrebas, ce qui ressemble au lit d’une rivière asséchée. Où est donc cette Mer de Glace ? Tout est gris. « Elle est bien là, Tiga. Sous nos yeux… » Ma déception fait rire Didier. « La mer a beaucoup diminué… Ce que tu vois, ce sont

les rochers et les cailloux qui sont tombés et qui la recouvrent. C'est la moraine. On a du mal, en effet, à distinguer la glace en dessous. » Comment en est-on arrivé là ? Didier évoque la montée des températures et la fonte des glaces depuis plus d’un siècle. Le phénomène s’accélère. Ses chiffres m’étourdissent et les prédictions sont accablantes : la Mer de Glace est condamnée. Équipés en alpinistes, nous sommes attachés l’un à l’autre. La descente est impressionnante. Nous voici sur la moraine… Entre les coulées de rochers, la glace apparaît par endroits. Sa couleur, d'un bleu transparent et vif, reflète la beauté grandiose du site. Après une longue marche sur la rocaille, nous ramassons deux bois fossiles, que Didier sculptera plus tard dans son atelier. Mon ami reprend le train, tandis que je me rends à la Grotte de Glace. À l’entrée, je retrouve le glaciologue Luc Moreau. Patiemment, il donne à mes questions des réponses claires, que je vous résume. De tout temps, des périodes chaudes comme la nôtre ont succédé à des périodes glaciaires. Lors des grandes glaciations, la vallée de Chamonix était ensevelie sous 1 500 mètres de glace. Mais, dans cinquante ans, il n’y aura plus aucun glacier nulle part. Il est vrai que, depuis le Commencement, ils ont déjà disparu plusieurs fois. La différence, c'est qu'alors, l’homme n’existait pas. La sortie d’une période glaciaire était progressive, extrêmement lente. Or, depuis un siècle, l’excès de CO 2

modifie l’atmosphère. L’effet de serre, phénomène naturel et indispensable car il a permis la vie, augmente d’intensité, déréglant le climat et les équilibres essentiels. La montagne dégèle, la banquise fond, le manteau blanc qui nous protégeait disparaît… Les répercussions sur nos vies sont incommensurables. Peut-on y remédier et comment ? Pour contenir l’effet de serre, il faut diminuer ce qui pollue, favoriser les énergies propres, replanter des arbres, généraliser le développement durable. Un grand merci à Luc Moreau : notre conversation était passionnante et j’espère ne pas l’avoir dénaturée. J'apporte ici ma contribution, avec ce modeste témoignage. Une pierre de plus à l'édifice de la sensibilisation qui, je l’espère, ne tombera pas dans la moraine ! Quand je sors de la grotte, le soleil a disparu derrière les montagnes. Un hôtel se dresse à deux pas. Il s'agit du refuge du Montenvers. Le dernier train pour Chamonix est déjà parti. Tout ce que j’ai découvert aujourd’hui m’a littéralement… glacé le sang ! Vite, il faut que je me réchauffe avec un bon repas et, après, je filerai aussitôt sous la couette pour me reposer. L’hôtel- refuge sera parfait. Au restaurant, on me recommande le plat du jour : le pot-au-feu régional que les Chamoniards appellent la « soupe aux cailloux ». Ce n'est pas un nom si étrange, finalement, quand on se trouve à deux pas de la moraine !

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