SANTE MAGAZINE 520

santé Enfants

LES ÉCRANS MODIFIENT-ILS LEUR CERVEAU?

Du 11 au 17 mars, c’est la semaine du cerveau. L’un des thèmes qui passionnent le plus les chercheurs est celui des enfants. La révolution numérique a-t-elle vraiment bouleversé leur cerveau ? Les spécialistes nous répondent. Jasmine Saunier

O n les appelle les écrans sont irrésistibles pour les petits. Outre les sons et les couleurs qui les hypnotisent, les systèmes interactifs correspondent à leur manière tactile d’appréhender le monde. Cette immersion, toutefois, laisse son empreinte sur le cerveau. CE QU’ILS PERDENT 6 Des capacités de concentration De nombreux travaux scientifiques l’ont constaté : le temps passé devant les écrans digital native . À leur naissance, la société baignait déjà dans les smartphones, tablettes, consoles et ordinateurs. Ces est corrélé à une baisse de l’attention chez les enfants. Une étude canadienne, parue à l’automne dernier, a même montré que cette relation débutait dès 2 heures d’activités par jour sur des outils numériques. « La structure du cerveau en elle-même ne se modifie pas », précise Elena Pasquinelli. Il s’agit plutôt de nouveaux apprentissages qui se développent aux détriments d’autres pratiques. Parce qu’il en tire davantage de gratifications, le cerveau s’habitue à zapper entre des écrans colorés plutôt que de se concentrer sur un texte.

découvert que le cerveau des enfants qui utilisaient des écrans plus de 7 heures par jour présentait un amincissement de la matière grise, c’est-à-dire des réseaux de neurones liés à la concentration, la mémoire ou encore le raisonnement. Mais les auteurs préfèrent rester prudents et rappellent qu’une observation ne signifie pas un lien de cause à effet. CE QU’ILS GAGNENT 6 Un temps de réaction accéléré Les jeux vidéo peuvent être bénéfiques pour le cerveau. Ils nécessitent souvent une grande réactivité motivée par la recherche du plaisir. Or, toute action répétée développe la zone du cerveau qui la contrôle. Selon l’Académie des sciences, les jeux d’action améliorent les capacités d’attention visuelle, la mémoire à court terme, et facilitent la prise de décision rapide. Une autre étude a suggéré qu’ils pourraient aider les enfants dyslexiques à décoder plus rapidement les lettres. Mais tous les spécialistes ne partagent pas cet enthousiasme. Beaucoup font valoir que les jeux de guerre les plus en vogue développent aussi l’agressivité, l’anxiété et les préjugés sexistes. Les possibles bienfaits sont donc très liés

6 Le contrôle de leurs émotions Le numérique se caractérise par une explosion d’images, de sons et d’informations qui se succèdent à grande vitesse. Le plaisir est immédiat et l’ennui impossible : les circuits cérébraux qui fonctionnent selon le mode “stimulation/ récompense”, tournent à plein régime. Pour les chercheurs, cela se fait cependant au détriment de la prise de recul et de la maîtrise de soi. « Le digital favorise la prédominance de l’émotion et la recherche d’une satisfaction immédiate », souligne le Pr Pierre-Marie Lledo. 6 Certaines aptitudes cognitives : mémoire, langage et raisonnement Publiée en 2017, une étude de l’université de Toronto a montré un lien entre le temps dédié aux écrans et un retard dans l’apprentissage du langage chez des petits de 6 mois à 2 ans. Le risque augmenterait de 49 % pour chaque demi- heure quotidienne. L’une des explications avancées est que leur cerveau est moins disponible pour réaliser les apprentissages fondamentaux. Des études soulignent également de moins bons résultats scolaires. En septembre dernier, l’étude américaine ABCD a même

NOS EXPERTS

Pr Pierre-Marie Lledo neurobiologiste, directeur du département Neurosciences à l’Institut Pasteur, Paris

Elena Pasquinelli chercheuse en sciences cognitives et philosophe, spécialiste de l’apprentissage

SDP

80

SANTÉ MAGAZINE I avril 2019