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90 LE PLAT DE TERROIR

JANVIER FÉVRIER 2019 RÉGAL N° 87 www.regal.fr

CERTES, IL FAUT DU TEMPS ET DE L'AMOUR POUR FAIRE CE PLAT QUI NOUS RÉCONCILIE AVEC L'HIVER, MAIS LE POT-AU-FEU EN VAUT LA CHANDELLE. LÉGUMES, VIANDES, BOUILLON, BOUQUET GARNI, CUISSON... ON VOUS DIT TOUT SUR LES FONDAMENTAUX D'UNE RECETTEMYTHIQUE ET VIEILLE COMME LEMONDE. Le pot-au-feu mode d'emploi

R E C E T T E S , R É A L I S AT I O N E T S T Y L I S M E J U L I E S C HWO B P H O T O S J E A N - B L A I S E H A L L M E R C I À L E C R E U S E T P O U R L A C O C O T T E

N ni plus ni moins un bouilli de viandes et de légumes, voilà ce qu'est un pot-au-feu, un type de recette présent dans de nombreux pays et régions françaises, dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Au fond, sans leur faire offense, la potée lorraine ou la garbure ne sont que des types particuliers de pot-au-feu, tout comme la bouillabaisse ! On oserait dire qu’il se perd dans la nuit des temps, la cuisson de légumes dans un pot formant l’une des bases de l’ancestrale ration campagnarde. Jusqu’à la fin du XIX e siècle, les livres de cuisine présentent le pot-au-feu d’abord comme le moyen d’obtenir un riche bouillon. La viande est traitée à part – en miroton, par exemple. C’est ce bouillon qui accède à la dignité de «plat national ». Le célèbre chef Antonin Carême ouvre son Art de la cuisine française (1833) par le «modeste pot-au-feu», «humble soupe grasse», «nourriture principale de la classe laborieuse de la nation». Aux yeux de Brillat- Savarin, ce potage constitue « la base de la diète nationale française» (1825) – mais il traite avec un certain dédain le bouilli de bœuf peu nutritif dont on a épuisé les sucs. Trente ans plus tard, les auteurs d’un petit ouvrage sur les restaurants de la capitale ( Paris-restaurants , 1854) ont la dent plus dure encore : «Le pot-au-feu n’a de valeur en définitive que par son bouillon, mais songez bien qu’il vous impose en même temps son infâme bouilli, cette viande flasque et lugubre, qui est cause que tant de maris désertent leur intérieur et veulent plaider en séparation» ... Le septième plat préféré des Français Ce mépris pour le bœuf bouilli et ses légumes va lentement se dissiper au cours du XX e siècle. Pourtant dans l’entre-deux-guerres encore, La véritable cuisine de famille rappelle les bonnes manières à ses lecteurs : « Les légumes se servent à part sur une assiette, soit avec le potage, soit avec le bœuf, mais ceci ne se fait qu’en petit comité ; lorsqu’on a des invités, les légumes ne se servent pas. » En 1934, Auguste Escoffier vante « ce plat bien français qui, sous sa simplicité, résume le dîner complet du soldat et des classes laborieuses. » Plus près de nous, l’édition 2007 du Grand Larousse gastronomique le qualifie d’« apprêt spécifiquement français ». Dans les faits, l’attrait pour la viande bouillie déclinant, on aurait pu croire que l’heure de gloire de cet étendard culinaire appartenait désormais au passé. En 2006, une enquête (Sofres) traduisait ainsi l’ambiguïté de son statut : le pot-au-feu y était élu « plat le plus typiquement français » par le millier de personnes sondées, mais n’arrivait qu’en 7 e position dans le classement de leurs plats préférés. La bistronomie lui redonne des couleurs. Le pot est loin d’être enterré. Il n’y a pas le feu!

LOIC BIENASSIS, HI S T OR IE N À L’IN S T I T U T E UR OP É E N D’HI S T OIR E E T D E S C ULT UR E S D E L’A L IME N TAT ION ( IE HC A)

LA MAGIE D'UN PLAT TRANSFORMISTE Si le pot-au-feu fait figure de recette populaire par excellence, il est aussi le terrain de jeu favori des chefs. Canard, jarrets de porc, foie gras, poissons, choux, légumes racines... il n'y a aucune limite à la création quand il s'agit de faire mijoter des ingrédients dans un bouillon pour une cuisson longue ou courte. Le succès de la bistronomie aidant, le pot-au-feu est résolument tendance, dans sa version la plus classique, dès que le froid sévit. Avec toutefois une petite variante dans le dressage pour un "effet bœuf" : l'os à moelle n'est plus taillé en tronçons, mais servi tranché dans la longueur. Et si vous n'arrivez pas au bout de votre pot-au-feu, pensez aux restes. À vous les savoureuses terrines, les hachis parmentiers et autres mirotons de bœuf...

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