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122 AILLEURS

JANVIER FÉVRIER 2019 RÉGAL N° 87 www.regal.fr

Au marché aux poissons de Nagasaki, le système de vente aux enchères montantes est encore très artisanal. Le visiteur est au spectacle.

demoins. Il hèle sa femme flottant à quelquesmètres de l’em- barcation. Accrochée à sa bouée, malmenée par les vagues, Sayuri pousse un râle en reprenant sa respiration. Elle vient de surgir de l’océan. C’était sa cinquantième plongée en apnée aujourd’hui. Cinquante secondes environ, à chaque fois, traquant dans l’obscurité des fonds, un oursin, un ormeau ou des concombres de mer. «C’est terminé!», crie Masumi «Encore une dernière», s’obstine Sayuri, bientôt soixante ans, admirée comme la championne parmi ses pairs. Sur le pont du bateau, un ormeau gigantesque dodeline sur son pied. «Il doit avoir au moins dix ans», estime Masumi. LA PUISSANCE DES RITUELS De retour au port, Sayuri et les autres pêcheuses en apnée – les Ama-San – se douchent à l’eau froide sur le quai, entre les seaux remplis de la pêche du jour. Elles courent se réfugier dans leur ama goya, une baraque de fortune en taules ondulées. À l’intérieur, le kamado , un feu de bois, flambe, la fumée mal évacuée noircit les cloisons, et des bouteilles de plastique remplies d’eau, abandonnées depuis le matin, réservent une eau chaude pour réchauf- fer les plongeuses. On s’interroge sur des conditions si spartiates. «C’est comme cela depuis toujours, sourit Sayuri. On se retrouve ici, on blague, on se raconte la vie. » Cela dure depuis des millénaires dans la péninsule de Shima, l’eldo- rado des coquillages. Nous quittons les Ama-San pour partir à l’une des sources de l’umami, le mystérieux cinquième goût japo- nais. Dans un village où les poissons sèchent au soleil, au bout d’un chemin qui surplombe l’océan Pacifique, Yukiaki Tenpaku est l’un des derniers à fumer le kat- suobushi, la bonite séchée, comme on le faisait déjà au temps des Shogun. Devant le kamidana (littéralement,

BONITEORDINAIRE POUR BOUILLOND'EXCEPTION Le katsuobushi , qui est à la base du dashi , est fabriqué à partir de la bonite, un poisson assez ordinaire. Mais par la magie et la complexité du procédé de transformation, le poisson est capable de sublimer le fameux bouillon japonais. Une fois la tête et la queue coupées, l’arête centrale retirée, le filet est bouilli et séché à l’ancienne, si bien qu’à la fin, la bonite devient dure comme du bois et prend des teintes sombres. Pour la consommer, elle est rabotée pour en faire des flocons.

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