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118 AILLEURS

JANVIER FÉVRIER 2019 RÉGAL N° 87 www.regal.fr

Dans leur ama goya, souvent des cabanes de fortune, lieu d’intimité et de camaraderie, les Ama-San se préparent pour leur journée de plongée.

dans le paysage. On ne pourra jauger les bœufs de Giro Toghigi que de loin. Impossible de s’en approcher pour des raisons sanitaires (il faut aumoins quinze jours de présence au Japon). On aperçoit le museau humide et les cornes sail- lantes et convergentes de l’une de ses quatre vaches dans la stabulation. «Dès qu’elles sont jeunes, on les relie avec une corde pour leur donner cette forme. C’est juste pour le regard. Mais elles ne souffrent pas», explique Giro Toghigi. La veille, à la vente aux enchères annuelle de Matsusaka, un événe- ment spectaculaire qui attire des dizaines de milliers de personnes de toute la région, il a présenté deux animaux habillés, suivant la tradition, de leur yutan. Cette année, il n’a pas gagné le premier prix. «Cela m’est arrivé trois fois. La compétition est rude», souligne-t-il. Le gros lot des enchères, 200000 euros, a échu à Yuko, un bovin de trois ans, élevé par Urata et Nanpei Asuka, deux sœurs, dans la trentaine. «Notre secret? Observer les animaux et les choyer, voilà ce que notre père nous a enseigné.» Soudain, l’atmosphère change et tourne à la fête. Des poignées de riz surgissent d’un camion arrosant la foule. Le but est d’en attraper le plus possible. C’est bon enfant, les Japonais adorent et ne boudent jamais leur plaisir. Tant ils s’emploient à conduire leur existence sur un fil oscillant entre monde réel et imaginaire. Le soir dans un izakaya de Matsusaka, une de ces tables populaires qu’ils affectionnent, toutes classes confondues, ils referont l’histoire entre éclats de rire et avalanche de bières, de saké et de nourritures, partageant une convivialité non feinte et une gourmandise exagérée jusqu’à l’ivresse. AMA-SAN, LES FEMMES-PÊCHEUSES À quelques kilomètres de Matsusaka, dans la péninsule de Shima, au gouvernail de son bateau de pêche, Masumi tire cigarette sur cigarette. Son visage est tanné par le soleil et les saisons passées à naviguer. À soixante-dix ans, il en paraît dix t

PLONGER ENAPNÉE, UNETRADITIONMILLÉNAIRE Dans la péninsule de Shima, la plus ancienne des Ama-San est âgée de 80 ans. Elle plonge en apnée pour récolter des coquil- lages (ci-dessus, un ormeau sauvage). Depuis des millénaires, ces femmes savent gérer la ressource, sans règlement coercitif. Elles font la promesse de ne pas tout prendre. Les profondeurs de plongée sont de 3 à 4 mètres, certaines plus téméraires vont jusqu’à 20 mètres. Le métier est dangereux. Chaque année, des femmes ne remontent pas. Autrefois, elles plongeaient les seins nus. À l'arrivée des occidentaux, elles se sont couvertes, non par pudeur, mais pour ne pas choquer.

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