PARENTS

L’EXPERT

Parents: On a tendance à imaginer qu’allaiter représente un frein à la sexualité, est-ce vrai? E. M. : Si nous nous plaçons du point de vue d’une femme qui vient d’accoucher, il faut prendre en compte différents paramètres. D’abord physiologiques. La mère allaitante voit sa sécrétion hormonale d’œstrogènes et de progestérone inhibée, ce qui entraîne une sécheresse vaginale et peut donc avoir un impact sur sa libido. Ensuite parce que naturellement, elle se tourne vers son bébé : c’est ce qu’on appelle “la préoccupation maternelle précoce”, une relation quasi fusionnelle. Enfin, n’oublions pas qu’elle vient de vivre une expé- rience éprouvante, qu’elle a besoin de repos et n’a pas forcément la tête à sa sexualité. Riende plus normal! Cette période de mise en place E. M. : Évidemment ! Mais il faut songer à recréer un espace d’intimité. Si le bébé est allaité à la de- mande comme ce que l’on préconise aujourd’hui, il faut pouvoir réinventer sa vie sexuelle. On va dans la cuisine, la salle de bains, ou alors on déplace le berceau du bébé une petite heure dans le salon… Certaines femmes peuvent aussi éprouver une gêne par rapport à leur poitrine. Les seins sont parfois lourds, douloureux, les mamelons ultrasensibles. Je conseille très souvent à ces femmes de porter un soutien-gorge (avec, si besoin, des coussinets d’allai- tement au cas où il y aurait des éjections de lait in- contrôlées), un caraco avec lequel elles se sentent à l’aise et séduisantes. Souvent cette idée de passage du sein “sexué” au sein “nourricier” dérange. Pourquoi ? E. M. : C’est le paramètre subjectif consistant à faire coexister la femme sexuée à la femme mère. Si la sexualité avant l’accouchement ne posait pas de pro- blème, il est rare que le passage se fassemal. Il est vrai que la femme allaitante exprime souvent cet état de plénitude et de plaisir au moment de la succion. On terminée, si le couple désire renouer avec sa vie sexuelle, c’est possible?

Le conjoint doit se sentir un peu perdu… En général, il se sent un peu freiné dans ses élans E. M. : Il peut se sentir mis de côté, certai- nement, car la relation mère/enfant prime. Cependant, la sexualité peut revêtir dif- férentes formes. En parler fait déjà partie de la vie sexuelle. Se dire qu’on en a envie, mais pas le courage, se faire des caresses

Émilie Moreau PSYCHOLOGUE/ SEXOLOGUE au Centre de santé sexuelle Paris Centre (hôpital Hôtel Dieu) et au service de Biologie de la reproduction (hôpital Tenon)

« Je n’ai ressenti aucune contrainte à faire l’amour pendant la période d’allaitement. Les deux actes sont juste naturels et avecmon conjoint, on ne s’est pas posé de questions. Peut-être était-ce aussi parce que je n’ai eu ni douleurs ni crevasses.Mes copines semblaient plus préoccupées:“les seins sont àmon bébé” ou“les seins sont réservés au plaisir sexuel”.Moi, je leur répondais quemes “Ça ne nous a posé aucun problème!” E. M. : Tout dépend du couple. Si l’un des deux (ou les deux) est en souffrance, consulter un sexologue peut aider à dénouer une situation. Souvent les femmes souffrent d’une pression sociale énorme. Elles se disent très vite qu’il faut retourner au travail, re- trouver la ligne, être à nouveau sexy et sexuellement performante. Il faut arrêter avec ces injonctions per- formatives. Le regard des autres compte tellement qu’elles arrivent à s’oublier. L’important est de bien faire la distinction entre besoin et envie. La sexuali- té n’est pas un besoin ! Il faut retrouver l’envie quand elle s’éloigne et, là encore, ce n’est qu’en se laissant du temps, de l’espace, en ne se mettant aucune pression et en dialoguant avec son partenaire de vie que la si- tuation sera bien vécue. Après, allaitement ou pas, peu importe, on se laisse vivre sereinement… l PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE SAADA sans forcément se centrer sur la pénétration, tout ça, c’est vivre aussi sa sexualité. La clé restera toujours la communication dans un couple. On le voit, d’ailleurs, quand deux personnes complices échangent et com- muniquent leurs envies, la vie sexuelle est vécue se- reinement avec ses périodes actives et d’autresmoins, sans que ça pose de problèmes majeurs. Et s’il n’y a pas d’envie, on fait quoi ?

l’appelle en psychologie “la relation à l’archaïque”. C’est normal et il faut rejeter ces fausses idées de perversi- té qui gravitent autour de ça. On sait aussi que lors de l’allaitement, elles ressentent des douleurs dues aux en- gorgements, crevasses et autres…

seins n’appartiennent à personne d’autre qu’àmoi. C’est mon corps, et puis, j’étais ravie d’avoir une si belle poitrine! »

LITTLE CITYLIFESTYLE PHOTOGRAPHY/ISTOCK

MERIEM En couple avec Jules, parents d’Adam, 5 ans.

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PARENTS Mai 2020 87

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