PARENTS LCL
Tout a commencé avec Oui-Oui, l’idole de mon petit garçon de 4 ans que nous avons vu au théâtre. Intéressé par le clignotement d’un jouet que je venais de lui offrir, il n’a jamais réagi à ce qui se déroulait sur scène, tandis que les autres enfants criaient de joie. Au cinéma, même chose : pas de réaction. Il était par ailleurs difficile d’en- trer en conversation avec lui. Si je lui posais une question, il répondait à côté, évoquant ses centres d’intérêt ou répétant des phrases entendues dans la bouche de quelqu’un d’autre. Il se passionnait pour les calendriers, capable une fois qu’il les avait étudiés un moment, de donner le jour de la semaine correspondant à une date! Il s’est pas- sionné pour le plan du métro, ou pour les tours d’immeuble, mais son intérêt n’est pas allé vers l’architecture,mais vers le comptagedes étages. J eux répétitifs, rituels…m’ont mis la puce à l’oreille. Au lieu de jouer avec ses voitures, il les alignait inlassablement, par couleur. À l’école, puis au centre de loisirs, très vite, on m’a signalé certaines attitudes inadaptées. Il refusait de faire sesexercicesou il collaitdeuxcamaradesaupoint de devenir terriblement envahissant. Il n’écoutait aucune consigne… Alors j’ai fini par consulter… Un premier charlatanm’a asséné une phrase ter- rible: “Si c’est ce que je pense, votre fils ne pour- ra pas aller à l’école.” Malgré l’enchaînement de séances, il n’a pas posé de diagnostic et c’est moi qui l’ai fait avec mes propres recherches sur in- ternet. “Syndrome d’Asperger” m’a semblé être l’expression juste. J’enai parlé à cepsyquim’a ex- pliqué qu’un autiste ne parlait pas, contrairement à mon fils. Pendant neuf ans, il est allé à ces ren- dez-vous ineptes. À l’école, mon fils était accom- pagné par uneAVS et chaque année, dès leCP, on nous a prévenus que l’année suivante serait sans doute impossible à passer. Et pourtant, j’ai lutté pour qu’il continue à être scolarisé. L’inclusion scolaire est essentielle. Si on exclut un Aspie par principe, il perd tout. Mais si on l’aide à suivre un cursus normal, il peut passer son brevet. Ça a été le cas dumienqui passe actuellement sonbac. Après leDr Charlatan, nous avons eudroit à celle que j’ai surnommée “Madame Fol- dingue” qui aconseilléd’envoyermonfilsenhô- pitaldejour,d’autantquecethôpitalétaitsituésur notre ligne de métro! Bien pratique dans l’idée,
« Aujourd’hui, mon fils a 17 ans. Sa persévérance me bouleverse. »
certes,mais j’ai préféré contacter une association, et j’ai rencontré les bonnes personnes. Enfin, le diagnostic du syndrome d’Asperger a été posé. Plutôtqued’isolermonfilsenhôpitaldejouretde l’obliger à côtoyer desmalades qu’il aurait fini par imiter, j’ai puchoisir uneprise encharge rééduca- tive, afinqu’ilpuissevivreensociété.Commetous les autistes Asperger, il n’avait pas les codes pour comprendre les autres et donc s’intégrer. Décrypter les expressions du visage, découvrir l’agacement, la joie… voilà ce qu’il a fallu lui apprendre. Et les progrès se sont fait sentir. Ce qui a marché pour nous, ce sont aussi les séances de groupe réunissant des “Aspies” par tranches d’âges. Définir les limites à ne pas dépasser avec autrui en fonction du degré d’intimité, mieux comprendre le corps humain, la confiance… Tout ce qui n’est pas naturel chez l’Aspie a dû être enseigné, rabâché parfois. Ces ateliers d’habileté sociale permettent de faciliter l’interaction en groupe etmême si certaines réac- tionsainsi acquisesnesontpasnaturellespourun Asperger, elles ont permis à mon fils de se sentir mieuxdanssonquotidien,moinsmontrédudoigt. Survivre au regard des autres n’est pas facile. Les hurlements à la vue d’un chien, les ré- actions bizarres…Tout ceci est une gêne, mais j’ai constaté qu’il valait mieux expliquer aux autres. C’est aussi ce qui peut faire changer les mentali- tés. Des enseignants déclarent qu’“il faut que les enfantsautistes soient livrésenclasseavec lacage qui va avec”… alors, le combat n’est pas terminé! Aujourd’hui,monfilsa17ans.Sapersévéranceme bouleverse. Onm’avait prédit qu’il finirait en ins- titution, mais, à force d’efforts, il a réussi à se faire des copains. Il connaît les codes. Je suis heureuse de ne pas m’être arrêtée à cette “grande souf- france” évoquée par les médecins comme l’em- pêchementde tout, fièred’avoir fait confianceàce que je ressentais. C’est bien le conseil que je vou- drais adresser aux parents qui doutent. On con- naît sonenfant et, aprèsun tempsd’hésitation, on est capabledechoisir cequi est bonpour lui. Faire confiance à son instinct, ne pas s’appuyer sur les seules convenancesoupratiquesconnues, voilà la pente d’une aventure difficile, mais aujourd’hui, je suis certaine que chacun peut trouver sa place danslasociété. l PROPOSRECUEILLISPARJESSICABUSSEAUME
ILLUSTRATION LADYBUG
PARENTS Avril 2020 107
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