PARENTS LCL 01
« Avant le départ d’Henri au bloc, la sage-femme me l’a posé au creux du cou, pour que je lui parle et l’encourage. »
Quand avec mon mari nous sommes en- trés dans le cabinet dugynécologue pour la première échographie, nous ne tenions plus en place. Nous allions enfin découvrir la bouille de notre bébé. En quelques minutes, le sol s’est ouvert sous nos pieds. Le médecin nous a annoncé que nous devions nous rendre au plus vite à l’hôpital afindeprocéder à des examens. Ce que nous prenions pour un gros bidon était une boule posée sur l’abdomen de notre enfant. Très vite, le diagnostic est tombé, notre petit Henri avait un omphalocèle, unemalformation rare qui toucheunnouveau-né sur8500.Onnous aexpli- qué que sa paroi abdominale ne se refermait pas comme il se doit à 11 semaines. Elle restait béante et certains organes se formaient à l’extérieur. Les questions ont commencé à fuser: quelles étaient ses chances de survie, souffrirait-il d’unhandicap, pouvions-nous poursuivre cette grossesse? Si on m’avait dit qu’il valait mieux interrompre ma grossesse, que mon fils aurait une vie trop compli- quée, je l’aurais fait. Mais je n’aurais pas pris cette décision juste par peur de l’inconnu. J’ai dit à mon mari qu’il y avait un espoir, selon l’équipemédicale, etsurtoutquejeressentaisquetoutiraitbien. Malgré la pression de notre entourage, nous avons gardé le cap.Monmari a décidé deme faire confiance et surtout de tenir à l’écart toute per- sonne susceptible de contredire notre décision. Le médecin et le chirurgien sont alors entrés dans les détails, nous expliquant tout de l’évolu- tion d’Henri. Les résultats étaient plutôt bons, il grandissait normalement. Son foie et son esto- mac poussaient en dehors de sa cage thoracique. L’omphalocèle était géant. La difficulté résidait en la réintroductionde ces organes à lanaissance. J’ai repris le travail et vivais assez serei- nement ma grossesse. Le regard de ceux qui savaient me renvoyait à cette échéance et je les évitais aumaximumpour préservermon bébé de tout stress. Au 7 e mois de grossesse, le médecin nous a clairement dit qu’il aurait une chance sur deuxdesurvivrecar l’opérationderéintroduction des organes serait compliquée puisqu’ils appuie- raient sur ses poumons et qu’Henri pourrait ne pas réussir à respirer. De plus, un bébé qui reste en soins intensifs longtemps risque toujours de contracter une infection. J’ai perdu ma foi: et si
j’avais pris la mauvaise décision? que vais-je im- poser à cet enfant? Ce jour, en pleurs surmon lit, Henri m’a donné des petits coups de pied. J’avais l’impression qu’il me disait: «Hey, je suis là, on fait équipe, tout va bien se passer! » Jeme suis dit que cet enfant était unbattant. Àpartirde là, manger leplus possible afin de faire un gros bébé qui aurait assez de place pour accueillir ces organes est de- venu une obsession. Boosté aux gâteaux et aux glaces,Henri estnéà41 semaines, unbébéde4kg et53cm.Tantqu’ilvivaitenmoi,jemedisais“tout vabien,onestensemble”.Dèssavenueaumonde, il s’est mis à hurler, comme tout nouveau-né. Il était prêt à affronter son opération. Je n’ai rien vu de son omphalocèle, la sage-femme avait em- ballémonpetit homme,mais avant sondépart en salle d’opération, il m’a regardée d’unemanière si intense que nous savions à ce moment que nous étions là l’un pour l’autre. Mon mari a accompa- gnéHenri ensalled’opérationet jeme suis écrou- léede fatigue, de cettepressiondes derniersmois. Ce qui suivait ne dépendait plus de moi… Henri a passé 17 jours à l’hôpital et nous aussi, nous re- layant avecmonmari. Je tiraismon lait pourpou- voir lui donner dans sa sonde gastrique. Plus tard, une amie sage-femmem’a aidée àmettre enplace l’allaitement, même si je complétais avec des bi- berons pour le faire grossir davantage. Sa première année a étémouvementée. Il pleurait la nuit, cherchait mon contact et nous sommes restés collés jusqu’àcequ’il se sente prêt à profiter de sa vie, loin de ses traumatismes. Aujourd’hui, hormis une grande cicatrice qui va du nombril au bas du ventre, Henri mène une vie normale.Nosdernières inquiétudesportaient sur la tonicitéde ses abdominaux,mais tout vabien. À la naissance de François, son petit frère, Henri, alors âgé de 4 ans, a commencé à tomber souvent malade: rhumes, fièvres… Un jour, je lui ai dit: «Tu sais, tu peux guérir de beaucoup de choses. Tu as vu ta cicatrice? Tu es fort, tu es passé par plein de choses dures. » Maintenant, il est intré- pide et quand il tombe, ilme rassure: «T’inquiète pas maman, j’ai rien, je fais mes exercices de Spi- derman. »Unvrai superhéros! l JESSICA BUSSEAUME
ILLUSTRATION LADYBUG
PARENTS Janvier/Février 2020 103
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