PAR_588__BasseDef

MA TRIBU / LebilletdeJulienBlanc-Gras

Comment

Julien Blanc-Gras est journaliste et écrivain. Son nouveau roman, “Comme à la guerre” (éd. Stock), est une chronique de la paternité.

le papa... ... s’ensort à

l’airede jeu L’école est finie.Maintenant, il faut occuper l’Enfant jusqu’à l’heure du repas. L’aire de jeux permet heureusement aux bambins de se défouler. Mais pour le papa, ce n’est pas forcément un jeu d’enfant.

L e trajet qui sépare l’écolema- ternelle du petit square n’est pas très long. Quelques cen- taines de mètres, trois minutes à pied pour un adulte non accom- pagné. Pour un adulte accompa- gné d’un enfant de 5 ans, cela peut prendre trois bons quarts d’heure, si l’Enfant décide de monter sur tous les murets, jouer avec tous les horodateurs, ramasser tous les cailloux qu’il trouve sur le chemin ou tout simplement faire la grève de la marche : - PAPA PORTE-MOI Autre cas de figure : l’Enfant court comme un dératé, fonce à travers un dédale de gens pres- sés et de trottinettes électriques qui roulent sur le trottoir et on a dumal à le suivre : - ATTENDS-MOI POUR TRA- VERSER ATTENTION LA RUE STOP J’AI DIT STOP. Bon an, mal an, on arrive en- fin au square, cet espace sécu- risé (croit-on) aux issues contrô- lables. Le père déjà épuisé espère se poser deux secondes sur un banc pour discuter avec un autre papa / une autre maman épui- sé(e), pendant que son fils glisse sur un toboggan et développe ses facultés sociales en se liant à d’autres enfants avec lesquels il s’initiera au principe de partage du bien commun pour poser les fondations d’une humanité fu- ture au fonctionnement basé sur la collaboration harmonieuse entre les individus.

Hélas, avantmême qu’on ait eu le temps de demander: -Alorscomment va lapetiteZoé? à un autre papa épuisé, l’Enfant veut jouer à cache-cache (mais seulement avec moi, pas avec ses copains). La partie terminée, je reprends la conversation et ma place sur le banc: - Alors la petite Zo… - PAPA PAPA REGARDE-MOI PAPAREGARDE-MOI, coupe le fiston en gesticulant sur le toit de la cabane, celui qui est en pente, glissant, à 3,50mde hauteur? On se souvient alors du pre- mier impératif de la fonction de père: ramener son enfant en vie à la maison, si possible sans fracture. - DESCENDS DE LÀ TOUT DE SUITE C’EST DANGE- REUX, hurle-t-on à notre tour, tout enseprécipitant sur le lieude l’action pour rattraper l’Enfant en cas de chute. Une fois qu’il est en sécurité sur le sol, je reviens vers mon cama- rade de square: - Et alors, comment ça se passe à l’école pour Zoé?

Je ne connaîtrai pas la réponse car je dois partir de toute urgence pour cause d’em- brouille autour de la balançoire, que mon fils essaye d’arracher des mains d’un petit garçon. Je console cet enfant et lui rends la balançoire. Mon fils se met à pleurer car il s’estime victime d’une injustice scandaleuse. Sé- rieux, les enfants, qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans «CHACUNSONTOUR»? L’aire de jeux, cette zone de guerre. Je suis revenu demander au père de Zoé comment allait sa fille, mais il était parti entre-temps. Une minute plus tard, mon fils a fait cette déclaration: - Papa, j’ai envie de faire pipi et caca et je suis fatigué et j’ai froid et j’ai soif et j’ai faim. L’avantage du square, c’est que le temps passe très vite, car on est occupé en permanence (un peu comme la vie qui passe très vite quand on est parent). Il est déjà l’heure de rentrer à la maison. Durée estimée du tra- jet : entre 2 et 27minutes. l

PARENTS Juin 2019 111

Made with FlippingBook - Online Brochure Maker