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Mieux qu’un massif forestier aux paysages sublimes, Brocéliande est un lieu magique. Est-ce pour se préserver qu’il ne fgure pas sur les cartes de l’Ins- titut géographique national, où il se dissimule sous la banale mention : «Forêt de Paimpont»? La plus célèbre des forêts armoricaines n’a eu, plusieurs siècles durant, d’autre existence que littéraire puisque Brocéliande naquit au xii e siècle, de l’imagination de Chrétien de Troyes (1135-1183), premier romancier de la littéra- ture française avec les aventures des chevaliers de la Table ronde. Perceval ou le conte du Graal, Yvain ou le Chevalier au lion, Lancelot ou le Chevalier à la charrette, tous prennent pour décor les futaies d’une forêt située en Petite Bretagne. Pourtant rien, dans les textes de Chrétien de Troyes, n’autorise à situer Brocéliande à l’emplacement de la forêt de Paimpont. C’est que la fn du xix e siècle connut un regain d’intérêt pour l’histoire médiévale et les cultures régionales. Dans les milieux bourgeois, on se passionna pour la chevalerie et l’héraldique. On redécouvrit la belle histoire d’Arthur, roi de Petite et de Grande Bretagne, qui réunissait ses fdèles seigneurs autour d’une table dont la forme circulaire supprimait toute préséance. Lancelot, Perceval, Yvain, étaient les chevaliers de la Table ronde, à qui leur roi avait donné pour mis- sion de retrouver le Graal, cette coupe dans laquelle
avaient été recueillies les dernières gouttes du sang du Christ. Par jeu ou par naïveté, des cercles celtisants de Rennes traitèrent ces romans comme des récits his- toriques. Ils se mirent donc en quête de Brocéliande et fnirent par la situer dans la futaie profonde et les reliefs escarpés de la forêt de Paimpont.
Un rêve devenu réalité
Les historiens amateurs y identifèrent de manière formelle le Val-sans-Retour, le Miroir-aux-Fées, les fontaines de Barenton et de Jouvence. De plus — et qu’importe l’énormité de l’anachronisme — des mégalithes se trouvèrent baptisés Maison de Viviane et Tombeau de Merlin. Par la suite, en reprenant tous ces noms, des brochures touristiques attribuèrent à Brocéliande une existence historique qui se trouva encore renforcée, dans les années 1940-50, lorsque le recteur de Tréhorenteuc, hameau situé à la lisière occidentale de la forêt, transforma son église en un temple ésotérique de la Table ronde. Aujourd’hui, parcourir les 9000 hectares de la forêt de Paimpont comme si elle était véritablement la Brocéliande du cycle arthurien, donne à la promenade une dimension unique. Mais pourquoi s’interdirait-on de rêver?
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